Le trésor sauvage et le vin froid
Texte : Solveig Tange, photo: Anne-Mette Holm, Svend Bonde, Solveig Tange
C’était notre première rencontre. Les huîtres de Svend Bonde étaient chosies dans un rôle d’accompagnement pour la présentation de notre nouvelle cuvée mono-cru fin février. Mais déjà, j’appréciais le parallèle entre Svend qui ramasse ses huîtres sauvages dans l’eau du Limfjord dans le nord du Danemark et nous qui soignons nos vignes en Champagne. Sous le même ciel et avec le temps tel qu’il est uci ou là.
Alors qu’il sortait quelques poignées de varech du Limfjord, je savais que les huîtres de Svend et notre champagne allaient offrir une combinaison parfaite, planifié quelque part pas loin du septième ciel. Pendant la taille hivernale, j’avais collectionné des sarments de vignes de notre parcelle à Soulières pour décorer joliment la salle. Peut-être un détail décoratif dû au hasard.
Personnellement, je pensais plutôt à deux cœurs à l’unisson car nous avions tous les deux eu la même idée d’apporter un peu du quotidien de nos produits avec nous à Copenhague. Les sarments avec leurs bourgeons dormants qui contiennent les futures grappes, et le varech qui vacillait dans les eaux salées à côté des coquillages.
Évidemment, les sarments et le varech ne sont que l’ouverture.
Ce texte racontera surtout l’accord entre les huîtres et le champagne qui est peut-être le plus sensuel qui existe. Alors, à la fête.
Le trésor rond du Limfjord
Les huîtres du Limfjord ont fait partie du menu local depuis l’âge de pierre. Personne n’a jamais réussi à comprendre comment les gens de la civilisation d’Ertebølle (4.-5.000 avant J.C.) ont pu ouvrir leur repas. D’après une théorie ils ont jeté les huîtres sur le feu en bouillant les fruits de mer dans leur propre jus directement dans les coquillages. Svend a amené son couteau à huitres personnel. Il pose les coquillages ouverts sur un lit, qu’il a arrangé avec le varech et un morceau de citron pour ceux qui trouve le goût de la mer trop fort tout seul.
En France, vous trouverez des huîtres de cette variété européenne aussi. Mais ces huîtres de Belon sont cultivées dans l’embouchure de la rivière Belon en Bretagne. Ces garçons et filles du Limfjord vivent leur vie en liberté totale. Ils font partie de la plus grande population d’huîtres sauvages en Europe.
Dans leur jeunesse, les petites huîtres se fixent au fond du fjord sur un petit pied puis ils commencent de créer leur coquille dure, de plus en plus large avec les ans. Leur activité unique est de filtrer l’eau du fjord, et ceci explique pourquoi le goût est intimement relié avec l’habitat. Le débit du Limjord est assez fort. L’eau est froide et contient une combinaison intéressante de sel, des minéraux, des algues et du plancton. Et voilà : la recette d’une saveur crée dans son propre terroir.
Svend Bonde navigue un des 35 bateaux qui pêche le trésor sauvage du Limfjord. Toutes les voiles sont mises pour pouvoir continuer à le faire. La pêche des huîtres dans le fjord danois est durable (certification MSC) donc les pêcheurs veillent sur la population des coquillages pour que cela reste stable et la surpêche est évité.
La seule chose qui reste est de tenter plus de danois à essayer un plat très nutritif et particulier, qui nous est venu en traversant les temps de l’âge de pierre jusqu’à les tables les plus raffinées au Danemark et d’ailleurs. Allons, en la souhaitant la bienvenue et pourquoi pas en compagnie d’un autre grand ami de tous nos sens.
Le vin froid de la Champagne
Le champagne est un des vins les plus fameux du monde. La notion de champagne est encore plus connue comme synonyme de grande fête, d’’élégance la plus somptueuse et décadente. Heureusement, nous sommes beaucoup à avoir appris que les bulles de la France septentrionale sont bien plus que cela et avons envie de les explorer encore.
Le champagne est un des vins les plus fameux du monde. La notion de champagne est encore plus connue comme synonyme de grande fête, d’’élégance la plus somptueuse et décadente. Heureusement, nous sommes beaucoup à avoir appris que les bulles de la France septentrionale sont bien plus que cela et avons envie de les explorer encore.
Le champagne fût d’abord le résultat malheureux d’une faute dans la production du vin. Le climat s’était refroidi et vers la fin des années 1600, les hivers précoces interrompaient les fermentations des vins de la Champagne. Le printemps arrivé, la fermentation reprenait. Techniquement, ceci a fonctionné comme une deuxième fermentation qui a rendu le vin légèrement mousseux. Les bulles ne furent pas une qualité appréciée tout de suite par la clientèle. Mais heureusement pour les vignerons champenois, leur vin redevint en vogue quelques décennies plus tard à cause des bulles. Tout avait changé : d’une faute de production au début, les bulles devenaient maintenant l’objectif dans le but de faire le meilleur vin mousseux du monde. Ce travail est devenu connu sous le nom du champagne et ne s’est jamais arrêté depuis.
Comme le climat de la région était plus frais, les grappes mettaient plus de temps pour arriver à maturité et celle-ci n’était même pas complète. Il se trouvait que cela convenait lorsque le but était d’obtenir un vin mousseux issu de variétés de grappes, de crus et d’années pour obtenir le même goût tous les ans. Dans notre époque actuelle, le climat se réchauffe. Les raisins sont cueillis plus tôt et ils contiennent plus de sucres que jamais durant les derniers 300 ans. Il devenu possible d’élaborer un autre type de champagne, à partir des grappes d’une seule ou peu de parcelles seulement. Ce que permet à un petit domaine comme Tange-Gérard de créer ses propres champagnes.
C’est à ce type de bouteille que nous allons faire rencontrer l’huître sauvage. Un champagne qui a pris son goût dans le terroir pendant une année spécifique, élaboré avec des grappes durables que nous avons soignées minutieusement, avant, pendant et après les vendanges.
Les blancs de blancs d’Alain Gérard se marient parfaitement avec des mets fins comme les huîtres. Ces champagnes de raisins blancs montrent une élégance éthérée et une fraîcheur liée à l’acidité. La Champagne reste une région assez fraîche après tout.
Les bulles sont toujours présentes pour annoncer la fête.
Les sens en roue libre
Le plaisir de l’émerveillement commence avec le bruit du bouchon qui déclenche toute fête au champagne. Il continue pendant que nous remplissons les coupes. Des myriades de fines bulles poussent du bas puis montent et forment un cercle de mousse qui se pose au bord du verre. Ainsi nous avons déjà un avant-goût avec nos yeux lorsque nous saisissons enfin une coupe et que nos oreilles profitent du son cristallin et fin des bulles qui se brisent à la surface. Elles chatouillent le nez avant qu’il commence à séparer les arômes des agrumes de ceux des fleurs ou des fruits jaunes. Mais ça y est, nous ne pouvons pas continuer à nous priver, non ?
Nous sommes tellement prêts à déguster. Les bulles continuent : elles jouent sur notre langue puis sur le palais et elles rentrent dans nos veines pour prendre leur chemin vers notre centre de bien-être. Les premières gouttes sont fraîches puis une puissance se joint et ensuite des notes de fruits secs et compotés avec la brioche suivie par une finale minérale et longue. Parfait duo avec les huîtres de Svend Bonde.
Elles arrivent dans leurs propres assiettes. Nous essayerons de les apprivoiser avec un petit morceau de citron et les dernières gouttes d’eau salée du fjord qui clapote légèrement au fonds de la coquille. Nous mangeons l’huître à l’intérieur avec nos yeux. Un challenge déjà, pour certaines et certains.
Peut-être nous n’avons jamais rien mangé avec nos doigts sauf des burgers. Peut-être nous n’avons jamais brûlé nos doigts en prenant la nourriture directement dans la poêle. Ou peut-être nous n’avons jamais essayé qu’un léger mouvement puisse perturber notre point d’équilibre juste assez pour que l’eau salée coule un peu sur nos doigts. Une goutte d’eau qui rend le plaisir encore plus corporel. Mais qu’importe ! Il n’y a ni fourchette ni couteau. Nous avalons les huîtres directement dans leurs coquillages. Il est fort possible que des bruits inhabituels que l’on n’entend normalement pas pendant un repas nous titillent. Nos propres claquements de lèvres.
Le miracle légèrement salé du Limfjord est charnu et plus solide que les huîtres bretonnes que nous connaissons. Elles ont un goût intensif et minéral qui peut être plutôt sucré plutôt fruits à coquilles, cela dépend de la saison. C’est comme une bouchée d’eau salée. Comme si la mer, sinon toujours liquide, avait pris cette seule exception pour devenir solide dans la forme d’une huître.
Je pense que nous sommes prêts à recevoir une deuxième coupe. Et peut-être notre sixième sens est-il devenu opérationnel maintenant ?
À la rencontre de la sixième sens
Dans le Champagne le jeu des vagues et l’étincellement de la lumière sont bien loin.
Même si la craie sous le vignoble champenois se compose d’une couche épaisse des pierres formées par des coquilles d’organismes qui vivaient dans une mer qui date de la période géologique du Crétacé (70 millions d’années). Il s’agit de la fameuse craie de la Champagne qui fonctionne comme une éponge au-dessous des vignes et garde température et humidité dans les caves. Ce n’est peut-être pas un hasard si les bulles et les huîtres sont les meilleurs amis.
C’est bien plus facile d’envoyer nos champagnes au bar à huîtres à Glyngøre que de faire venir les huîtres jusqu’à notre ferme en Champagne. Il faut donc que vous vous rendiez au bar de Svend à deux pas du Limfjord pour vivre encore plus intensément l’été qui arrive. À la rencontre du sixième sens : le rendez-vous entre la terre et la mer.